Franck POULAIN
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Les rocs

Ils ne le sauront pas, les rocs, qu'on parle d'eux.

Et toujours ils n'auront, pour tenir, que grandeur

et que l'oubli de la marée, des soleils rouges.

Ils n'auront pas le besoin du rire ou de l'ivresse.

Ils ne font pas brûler du soufre dans le noir,

car jamais ils n'ont craint la mort.

De la peur, ils ont fait un hôte, et leur folie est clairvoyante.

Et puis la joie de savoir la menace et de durer,

pendant que sur les bords, de la pierre les quitte

que la vague et le vent grattaient pendant leur sieste.

Ils n'ont pas à porter leur face comme un supplice.

Ils n'ont pas à porter de face où tout se lit.

La danse est en eux, la flamme est en eux, quand bon leur semble.

Ce n'est pas un spectacle devant eux, c'est en eux.

C'est la danse de leur intime et lucide folie.

C'est la flamme en eux du noyau de braise.

Ils n'ont pas voulu être le temple où se complaire,

mais la menace est toujours là dans le dehors,

et la joie leur vient d'eux seuls, que la mer soit grise ou pourrie de bleu.

Ils sentent le dehors, ils savent le dehors,

peut-être parfois l'auront-ils béni de les limiter :

La toute puissance n'est pas leur faible.

Parfois dans leur nuit, c'est un grondement qui longtemps résonne

et leur grain se noie dans un vaste effroi :

Ils ne savaient plus qu'ils avaient une voix.

Il arrive qu'un bloc se détache et tombe,

tombe à perdre haleine dans la mer liquide.

Ils n'étaient donc bien que des blocs de pierre,

un lieu de la danse que la danse épuise.

Mais le pire est toujours d'être en dehors de soi

quand la folie n'est plus lucide,

d'être le souvenir d'un roc et l'étendue vers le dehors et vers le vague.

Eugène Guillevic, « Terraqué ».

 

Ce poème, comme beaucoup d'autres, m'accompagne depuis trente ans.